Le vol et l'assurage dynamique

Le vol et ses effets

Voler, c'est chuter au-dessus de la dernière dégaine qu'on a mousquetonnée lorsque l'on grimpe en tête. La hauteur de chute d'un vol correspond à environ deux fois la distance qui sépare le grimpeur de la dernière dégaine dans laquelle il a passé la corde.

La peur du vol est l'un des principaux freins à la progression et au plaisir en escalade. Lorsque l'on a peur de tomber, on a en effet tendance à se focaliser sur la chute, ce qui dégrade la gestuelle et la technique (la motricité). On est crispé et on serre les prises beaucoup trop fort, ce qui accélère nettement l'apparition de la fatigue.

La peur de voler impacte également le cognitif ce qui limite la progression. Par exemple, elle amène à choisir des voies d'un niveau ou d'un style que l'on maîtrise déjà bien, à ne pas voir certaines prises, à oublier la méthode qu'on avait préparé, etc.

Elle empêche enfin de se concentrer sur son escalade, d'être serein et de se faire plaisir. Il est important de rappeler que les émotions mènent la danse. Surmonter la peur du vol est donc une étape incontournable et essentielle pour progresser en escalade.

La chute peut s'envisager sans risque dans l'immense majorité des cas en escalade sportive. L'équipement et le matériel ont précisément été pensés pour permettre de tomber sans danger. À de très rares exceptions près (retour au sol avant le premier point, risque de heurter un arbuste ou une vire), il n'y a aucun risque de se faire mal en chutant en tête en SAE ou en falaise sportive. C'est d'ailleurs la possibilité de tomber sans risque, offerte par les progrès du matériel et de l'équipement, qui a permis le décollage de l'escalade dans les années 1970 et 1980, et les forts progrès dans la difficulté.

Pourtant tout le monde a peur de tomber, même les grimpeurs professionnels ! Il s'agit en effet d'une peur instinctive et naturelle pour nous protéger (un instinct de survie). Le but n'est donc pas de se séparer de la peur du vol complètement ce qui nous ferait prendre des risques inconsidérés. Seul un entraînement spécifique et un véritable effort mental permettent de se dégager petit à petit de la peur du vol. L'escalade en tête et la peur du vol sont donc des éléments à entrainer, au même titre que la force ou la technique. Seule une pratique régulière de l'escalade en tête et de la chute permet de réduire et de contrôler la peur naturelle que suscite le vol.

La première étape, indispensable pour ceux qui n'ont jamais ou très rarement chuté en tête, est de participer à un atelier vol (voir ci dessous). Ensuite, il est indispensable d'intégrer la grimpe en tête et le vol dans votre entraînement, et de les pratiquer régulièrement pour progresser.

C'est probablement des centaines de chutes en tête et des mois de pratique de l'escalade en tête et du vol qu'il faut envisager pour surmonter complètement la peur du vol. Cela peut sembler hors de portée, surtout pour ceux qui évitent systématiquement la chute. Pourtant c'est le temps qu'il a nous tous fallu pour maîtriser d'autres aspects techniques ou physiques de l'escalade. Et seul le début est difficile. C'est en effet lorsque l'on commence à chuter ou à grimper plus régulièrement en tête que l'on ressent les réticences les plus fortes, car l'on commence à sortir de sa zone de confort pour développer de nouvelles capacités. Rapidement la peur du vol diminue et la chute devient un élément récurrent de l'entraînement.

Le vol est souvent perçu comme un échec, voir une honte alors qu'il faut s'en féliciter ! Par exemple, quand on s'entraîne au tennis, nous ratons un nombre incalculable de points par séance et ce n'est pas un échec, mais un travail. Il en va de même pour le vol.

Chaque chute en tête, volontaire ou non, augmente le capital de confiance et réduit la peur du vol. Mais pour cela il est important que ces chutes se passent bien, et il faut pour cela une bonne technique de vol et un bon assurage dynamique.

La préparation mentale peut aussi permettre de mieux gérer la peur du vol :

  • comprendre sa peur : qu'est ce qui me fait peur (le vide ? la blessure ? le matériel qui cède ?),
  • observer et reconnaître sa peur : traduction physique (respiration rapide, stress, tremblement) et mentale (“je n'y arriverai pas”, “il est tard”, “je suis nul.le”),
  • explorer des techniques de gestion de sa peur :
    • détourner son attention de sa peur en se focalisant sur ses sens : visuel (description des prises, de ce que je vois, etc), auditif (chanter, écouter les bruits, etc) et sensoriel (la respiration, la sensation de contact avec la structure, la pression sur les pieds),
    • s'encourager : chasser les pensées négatives, mantra d'encouragement (“je peux le faire”, “je vais y arriver”, etc),
    • en cas de panique, retrouver le calme : faire une pause, travailler sur la respiration,
  • mettre en place sa technique de gestion de la peur dès les prémisses sa présence.

Techniques et conseils pour voler

Bien sûr, il convient comme toujours de bien respecter les règles de sécurité. Par exemple, il ne faut pas sauter de points, ni attraper les parties métalliques du mur ou les dégaines. Il est important aussi de prendre conscience que le vol lors d'un mousquetonnage raté augmente énormément la quantité de corde déroulée et donc la longueur de la chute (pouvant aller jusqu'à entraîner un retour au sol). Il faut donc faire attention à clipper la dégaine dans une position stable, et éviter sauf exception de clipper les dégaines au dessus de la tête. L'idéal est de clipper la dégaine lorsqu'on la au niveau des yeux et des épaules. Il est également préférable de prendre un petit vol plutôt que de tenter un mousquetonnage désespéré ou acrobatique pour éviter la chute…

Pour chuter dans de bonnes conditions, le grimpeur doit :

  • toujours faire attention à avoir la corde entre le mur et la jambe
    Le grimpeur doit s'assurer qu'il n'a pas la corde derrière la jambe, sinon il risque fortement de faire une bascule arrière et de se cogner la tête ou le dos sur le mur et les prises qui en dépassent ! Dangereux : corde derrière la jambe
  • prévenir son assureur
    Bien que ça ne soit pas obligatoire car la chute peut survenir n'importe quand (votre assureur doit être prêt en permanence), vous pouvez prévenir votre assureur que vous allez voler : ça permet de se rassurer car on saura que son assureur sera très attentif (attention, ne lui dites pas ”sec !”, sinon il risque de vous sécher et de rendre la chute plus brutale).
  • s'écarter légèrement du mur
    Au moment de la chute, il faut s'éloigner du mur pour éviter de se racler les dents, les genoux et d'autres parties sensibles sur le mur. Il ne faut pas non plus s'expulser le plus loin possible sinon le retour contre le mur en fin de chute sera très violent !
  • prendre une position verticale
    Lors du vol, il faut également faire attention à rester bien équilibré en position verticale, donc ne pas partir en arrière, la tête la première et les pieds qui restent collés contre la parois. Sinon on risque de se retourner et de se retrouver la tête en bas et les pieds en l'air.
  • préparer sa réception
    Il faut essayer de se détendre pendant la chute et avoir les jambes souples et fléchies (une sorte de position légèrement accroupie) pour que ça soit les pieds qui touchent en premier la paroie et que les jambes se plient pour amortir le choc. Si l'on reste jambes tendues, on risque de toucher avec les genoux ou de heurter plus fortement le mur, et de se faire mal.
  • garder les yeux ouverts
    Il est important de garder les yeux ouverts pour mieux s'équilibrer pendant la chute, regarder ce qui se passe autour de soi et préparer sa réception.
  • attraper sa corde au niveau du noeud d'encordement
    Lors de la chute, certains ont besoin d'attraper quelque chose pour se rassurer. Il est donc possible d'attraper sa corde avec l'une ou les deux mains au niveau du noeud d'encordement. Par contre, il est strictement interdit d'attraper la corde côté assureur (risque de brûlure ou de passage de la main dans la dégaine) ou même la dégaine (car la main risque de s'y coincer et la dégaine ne cédera pas !).

Il est également possible de crier lors de la chute afin d'évacuer les émotions.

Conseils côté assureur

Assurage dynamique

Afin d'amortir une partie de la force accumulée par le grimpeur lors de sa chute, il faut assurer de manière dynamique : c'est l'élasticité de la corde et le mouvement d'accompagnement de l'assureur qui permettent d'amortir en douceur la chute.

Par opposition, sécher son grimpeur correspond à lui laisser le moins de mou possible, voir même à ravaler le plus de mou possible lors de la chute de son grimpeur. En conséquence, la chute devient très violente pour le grimpeur : il va subir un arrêt brutal et très désagréable ! Et il sera projeté contre le mur brutalement !

Pratiquer un assurage dynamique correspond, d'une certaine façon, à laisser tomber son grimpeur pour ensuite le ralentir puis l'arrêter.

Pour cela, l'assureur doit donner une impulsion en faisant un petit saut lorsque la corde se tend. Si le grimpeur est bien plus lourd que l'assureur, ce dernier n'aura quasiment pas besoin de donner une impulsion, il suffira de se laisser entraîner. Au contraire, si le grimpeur est bien plus léger que l'assureur, il faudra faire un effort au niveau de l'impulsion pour bien accompagner son grimpeur.

Bien que se laisser emporter et accompagner le grimpeur puissent paraître à première vue comme un comportement contre nature (ça donne l'impression qu'on va laisser tomber son grimpeur plutôt que de le retenir), c'est vraiment ce qui permettra de ne pas le sécher et de réduire la violence du choc entraînée par la chute. C'est ce qui rendra la chute confortable et agréable pour le grimpeur.

Il est évident que l'assurage dynamique ne peut pas se pratiquer dans toutes les situations : par exemple, si votre grimpeur fait une chute entre la première et seconde dégaine, il ne faut pas pratiquer un assurage trop dynamique car il y a un risque de retomber au sol !

Autres conseils pour l'assureur

Comme dit précédemment, il est important de bien respecter les règles usuelles de sécurité. Par exemple, il faut toujours tenir le brin du bas et bien rester concentré sur la progression du grimpeur.

Pour assurer un vol, il suffit de garder un comportement normal d'assurage, mais voici quelques rappels :

  • être proche du mur
    Si vous êtes trop loin du mur (hors des tapis par exemple), vous risquez de percuter le mur violemment, d'utiliser vos mains pour vous protéger et lâcher la corde, d'emporter les personnes devant vous, etc ! De plus, il très difficile de doser correctement le mou si on est trop loin du mur. Idéalement, il faut être à moins d'un mètre du mur sans non plus être collé contre le mur (sinon on va se racler dessus).
  • face au mur, aligné avec le 1er point
    Afin d'éviter d'être projeté sur le côté, il faut être face au mur, aligné avec la première dégaine. Bien entendu ce conseil ne s'applique pas lorsque votre grimpeur n'a pas encore franchi la 3ème dégaine, sinon vous serez alors dans son couloir de chute et risquez de vous percuter.
  • laisser juste ce qu'il faut de mou
    Il faut laisser normalement du mou (la corde de votre grimpeur doit légèrement pendre comme une sorte de demi lune). Elle doit permettre au grimpeur de faire son pas suivant sans être retenu par la corde. Il ne faut pas non plus en laisser trop, surtout aux premières dégaines pour éviter le risque de faire un retour au sol. Le dosage viendra progressivement avec l'expérience. Attention, ne pas confondre donner du mou et assurage dynamique. Le mou préalablement laissé ne fait qu’augmenter la hauteur de la chute et ne joue en rien sur le côté dynamique de l'assurage.
  • une main en dessous, une au dessus
    Il faut garder une main au dessus du descendeur pour donner du mou et sentir la corde se tendre ainsi qu'une main en dessous pour retenir votre grimpeur. La main du dessous ne doit pas être collée au descendeur sinon elle risque de se pincer dans le descendeur ! La main du dessus ne doit pas non plus se crisper sur la corde sinon c'est la brûlure assurée ! Ce n'est pas elle qui retient le grimpeur. Elle permet par contre de sentir le moment où l'on doit dynamiser la chute de son grimpeur. Il n'est pas nécessaire (voir même fortement déconseillé) d'avoir les deux mains en dessous du descendeur car ce ne sera pas une position réaliste (on passe plus de temps avec une main dessus et l'autre en dessous que les deux en dessous).
  • accompagner son grimpeur
    C'est la partie la plus difficile. Cela se fait naturellement quand le poids du grimpeur est bien supérieur à celui de l'assureur. Il suffit juste de se laisser emporter. Par contre quand c'est l'assureur qui est plus lourd que le grimpeur, il faut faire un effort supplémentaire pour se laisser emporter et sauter ! Il y a un véritable décalage entre ce qu'on voit visuellement (le grimpeur chute) puis le moment où l'on doit dynamiser. Pour trouver le bon moment où dynamiser, vous pouvez vous aider de la main placée sur le brin du dessus : quand la corde tire, il faut accompagner. Le dosage de “combien” doit-on accompagner se fera progressivement avec l'expérience.
  • préparer sa réception contre le mur
    Puisque l'assureur accompagne le grimpeur lors de sa chute, l'assureur va se retrouver suspendu au bout de la corde, coller contre le mur. Il faudra donc utiliser les pieds pour se protéger du mur et non les mains !
  • regarder son grimpeur
    Afin de bien suivre ce qui se passe et d'être attentif, il faut que l'assureur le regarde attentivement ! Il faut se dire que c'est comme si on conduisait une voiture : on garde les yeux sur la route à tout instant !

Mise en pratique : le clip-drop

Après une diffusion de la vidéo de clip-drop, il est nécessaire de présenter le déroulement de la mise en pratique du clip-drop.

Rappelons et insistons que le clip-drop est un outil :

  • ce n'est pas un remède miracle qui guérit le grimpeur de la peur du vol,
  • c'est un outil qu'il faut intégrer, utiliser, répéter dans toutes les séances afin de progresser,
  • il permet le travail du vol mais aussi de l'assurage dynamique.

L'outil est composé de différents niveaux basiques :

  1. faire un vol en dessous de la dernière dégaine clippée,
  2. faire un vol au niveau de la dernière dégaine clippée,
  3. faire un vol au dessus de la dernière dégaine clippée.

Pour passer à un niveau supérieur, il faut se sentir à l'aise dans le niveau actuel. Il est préférable de pratiquer de nombreux vols de niveau 1 à chaque séance que seulement 1 ou 2 vols de niveau 3 toutes les semaines. Il est nécessaire d'engendrer beaucoup d'expériences positives pour pouvoir aller un peu plus loin petit à petit.

Pour chacun de ces niveaux, il est possible de les pratiquer en faisant varier un ou plusieurs facteurs. Par exemple : le profil (dièdre, dalle, présence d'un module), position du corps, position par rapport à la dégaine (sur le côté), avec un nouvel assureur, voler sans prévenir, voie au delà de son niveau max, attraper des prises intenables, voler en mouvement, en falaise, etc. Pour chacun de ces facteurs, il est nécessaire de recommencer au premier niveau et de progresser à son rythme.

Ne passer à l’étape suivante que quand l’étape en cours est maîtrisée. Chacun avance dans les étapes suivant la gestion de ses propres peurs, suivant son propre rythme. C'est par la répétition de chacune de ces étapes que la peur de voler diminue peu à peu.

La technique du “clip-drop”, adaptée pour nos besoins, provient de ce site.

Organisation d'un atelier vol

Le but de l'atelier vol est :

  • pour le grimpeur : d'apprendre des clefs pour gérer l'émotion de peur, d'apprendre les bons réflexes et de s'habituer au vol afin que cela ne soit plus une source de blocage à la progression,
  • pour l'assureur, de savoir comment se comporter pour rendre le vol plus sécurisant et agréable pour le grimpeur, maîtriser l'assurage dynamique,
  • sensibilisation aux différents dangers liés au vol,
  • donner un outil de travail sur le vol pour pouvoir pratiquer hors de l'atelier.

L'atelier peut commencer par une discussion avec les participants pour évaluer leur appréhension de la chute et faire passer les messages rappelés plus haut sur la peur du vol, la nécessité et les moyens de la surmonter. Il s'enchaîne ensuite par une présentation du “clip-drop” avant la mise en pratique.

Pour le bon déroulement de la partie mise en pratique à proprement parler, il est préférable de choisir une voie verticale ou déversante. Une démonstration permet de montrer les consignes (adaptées au lieu de pratique) aux participants.

À Roc14 par exemple, on commence l'atelier à partir de la 4ème dégaine dans les voies après le copyrock jusqu'au début du grand dévers.

La séance demande une vigilance et concentration surtout pour les premières fois. Il est important de rester concentré et d'éviter de discuter lors de l'assurage. Il conviendra de rappeler l'ensemble des conseils ci-dessus ainsi que les règles de sécurité pour l'assurage (double vérification, corde démêlée, etc).

En cas de doute sur les capacités d'assurage de certains participants, il est indispensable de mettre en place un contre-assurage en constituant des trinômes.

Une attention particulière doit être faite sur la constitution des binômes : les grimpeurs plus expérimentés doivent garder à l'esprit que le but de l'atelier est aussi l'apprentissage de l'assurage dynamique. En conséquence, certains ne savent pas le faire bien dès le début. Chaque personne du binôme se doit de progresser au rythme de l'autre.

L'animateur doit surveiller le respect des règles de sécurité mais aussi la bonne technique de chute, en rappelant les principes ci-dessus s'ils ne sont pas suivis. Les erreurs les plus fréquemment observées sont :

  • se projeter trop fortement en arrière : retour violent sur le mur,
  • rester très tendu ou très passif pendant la chute : tomber comme un piquet,
  • ne pas amortir le retour sur le mur,
  • la désynchronisation du moment d'accompagnement : se baser sur le mouvement de la corde plutôt que les yeux,
  • le manque de dynamisation surtout quand l'écart de poids n'est pas à l'avantage de l'assureur.